Bonjour, je suis Tankred Schöll, je suis né en Allemagne et j’ai achevé mes études à la Bauhaus- Universität de Weimar il y a douze ans. J’ai quarante-deux ans.
Parcours professionnel
J’ai travaillé en Allemagne en libéral pendant cinq ans, sur toutes sortes de projets dont des projets artisanaux : meubles sur mesure, et ce parce que je pouvais utiliser les ateliers de l’Université. Puis je suis venu m’installer à Paris et j’y exerce en libéral depuis cinq ans. J’ai très vite adhéré à Bâtir Sain. Tout ca parce qu’il y a huit ans en Bretagne je travaillais sur un projet dans un corps de ferme, où j’ai rencontré mon épouse. J’ai passé les sept premiers mois à Paris comme salarié chez Finnforest sur la reconstruction de la jetée 2E de Roissy Charles-de-Gaulle, qui s’était écroulée en 2004 après avoir été achevée trop vite. Le travail de Finnforest sur ce chantier concernait l’habillage bois de l’intérieur sur un bâtiment de sept cent mètres de long. C’était un immense chantier où Finnforest était la seule entreprise étrangère présente. Le bois était du lamellé collé, solide et léger, à base de résineux. Aujourd’hui Finnforest vend plus du matériau que de la conception. Au bout de sept mois, je suis parti, principalement pour des raisons d’emploi du temps, très chargé, et aussi avec l’ambition de voir aboutir mes idées. L’échelle n’allait plus être la même : de la réponse de la commande de la part d’un grand donneur d’ordre, je suis passé à un contact direct avec mes clients, c’est plus agréable, même si je gagne un peu moins d’argent.
J’ai eu la chance pour mettre en œuvre mes ambitions de renouer à Paris le contact avec mon ami d’Université Emmanuel Cros. D’une manière générale, les anciens élèves de la Bauhaus-Universität de Weimar, toutes disciplines confondues, restent très liés. Nous avons donc décidé de nous mettre ensemble pour partager un local professionnel. J’ai trouvé mes premiers clients en France principalement à partir du réseau de ma compagne qui travaille dans la culture, sur des projets de 20 à 30 000 euros, rénovation, transformation, amélioration thermique, sur Paris et région parisienne. Actuellement, je travaille également sur un projet en Bourgogne, un autre dans les Ardennes. Au cours du temps ma clientèle et son budget ont évolué : il m’arrive de refuser des projets comme de la rénovation de salles de bain, complexe et au budget faible. Je gère également mes clients en fonction de mon emploi du temps, c’est important dans le cas de projets qui m’intéressent et pour lesquels le client est prêt à m’attendre. Il y a également des projets qui s’ils ne sont pas très rentables financièrement ne m’intéressent pas moins, comme la mise en place du tempérage (voir explication plus loin) dans cette maison datant du 17è siècle à Verrières-le-Buisson, un projet pilote en France, débuté il y a deux ans, et qui a été présenté le samedi 23 février au public.
C’est important, surtout en rénovation, de suivre le projet du début à la fin ; notamment parce que la notion de volume n’est pas bien ancrée chez le client qui peut se rendre compte tout d’un coup que d’avoir abattu telle cloison entraîne une nouvelle vision des choses. Avant toute chose, ce qui m’interpelle dans un projet de construction ou de rénovation c’est l’aspect architectural, le potentiel du bâtiment. Il y a des bâtiments où les contraintes sont si nombreuses qu’on n’arrivera jamais à un bon résultat. Dans d’autres, le potentiel, (volumes, surfaces, lumière), est là. Un projet initial du client peut évoluer sous mon impulsion : un projet d’isolation peut être renforcé par l’ouverture d’un plus grand nombre de fenêtres au sud (apport d’énergie solaire), et moins au nord. A Fresnes, j’ai achevé un projet sur une petite maison individuelle où il fallait répondre à un problème de peinture qui cloquait de partout et à un besoin de plus de place. Dans la mesure où il y avait déjà des combles perdues et que les clients n’avaient pas accès à leur jardin, nous avons ainsi récupéré de l’espace (les combles), et de la qualité de vie (l’accès au jardin) sans créer d’extension.
Notion d’écoconstruction
Il est plus facile de définir les écomatériaux : prendre des matériaux locaux, qui n’émettent pas de COV1, qui proviennent de ressources naturelles, qui ne demandent pas trop d’énergie pour la fabrication. Qui pour la pose sont un plaisir, ne sont pas nocifs, voire font du bien (aux mains, dans le cas de la pose d’enduits à la terre !)
En ce qui concerne l’écoconstruction, un bâtiment existant peut être déjà transformé en écoconstruction avec une préférence d’orientation, en corrigeant les façades, plus d’ouvertures au sud qu’au nord, et ce sans avoir encore touché à des écomatériaux. Je n’aime pas non plus tomber dans cet excès des calculs thermiques : ça ne fait pas toute l’écoconstruction. BBC, Maison Passive : on ne parle que de la consommation énergétique du bâtiment, là. Une écoconstruction, ce n’est pas qu’un bâtiment performant énergétiquement, même si c’est important, c’est aussi un beau bâtiment, qui apporte de la qualité de vie. De plus la précision de ces calculs est critiquable. Un coefficient de conductivité thermique, lambda, est, de nos jours, associé à chaque matériau. Or ce lambda est calculé par le fabricant du matériau : voici déjà un premier biais. (D’autres coefficients, étanchéité à l’air, capacité de rétention de l’humidité, sont également proposés.) Travailler avec des matériaux locaux, terre, paille, peut s’avérer aussi intéressant thermiquement que des matériaux estampillés RT 2012 ; ces matériaux, soit disant conformes, en mise en œuvre, peuvent déjà l’être moins. De plus rénover signifie travailler avec l’existant : faire durer des matériaux, un principe constructif, c’est aussi de l’écoconstruction. Prenons le cas du mur épais : il apporte une grande inertie thermique, importante pour la stabilité de la température de l’air intérieur, on peut y stocker l’énergie produite dans la maison (principe du mur trombe). Et on peut envisager de réguler simplement la quantité d’énergie (chaleur) présente dans la maison : cette énergie peut n’être apportée que via le soleil entrant par une fenêtre bien positionnée, stockée dans un mur de haute inertie thermique. S’il fait alors trop chaud dans la pièce considérée, sans installer une ventilation mécanique, le fait d’ouvrir une porte donnant sur d’autres pièces plus froides peut être une régulation performante (ouvrir la fenêtre aussi, d’ailleurs !) Soulignons que ce n’est pas nécessairement le calcul qui aboutira à ces solutions simples et efficaces, mais bien plutôt le bon sens, à moins de faire appel à un ingénieur thermicien qui ne s’arrêtera pas aux matériaux pour évaluer la performance énergétique d’une situation.
J’ai pu constater lors de la transformation de l’ancien corps de ferme des grands-parents de ma belle-sœur les différences qui existaient entre la France et l’Allemagne du point de vue de la construction écologique : accès aux matériaux, mise en œuvre … Il y a 8 ans, en France, l’isolation la plus courante était l’isolation par l’intérieur quand en Allemagne nous mettions déjà en œuvre l’isolation par l’extérieur. De part les difficultés de trouver sur place des artisans impliqués dans l’écoconstruction, ce projet est vraiment devenu très personnel, c’est moi et un ami qui avons réalisé la conception et les travaux : maçonnerie, charpente, velux, plomberie, avec des amis des clients également. Les matériaux ont été trouvés sur place, pour quelques-uns, d’autres, en Allemagne. Ce qu’il y a de vraiment écologique dans cette ferme : le chauffage mis en place ; chauffage solaire combiné avec des panneaux solaires thermiques et un grand réservoir tampon. Toute la maison est chauffée, et on produit de l’ECS2. Très important : en Allemagne, pour le chauffage, on travaille de plus en plus avec des réservoirs tampons, couplés avec des panneaux solaires. Le plus on met en place une masse thermique, le plus on peut stocker de l’énergie. On a deux systèmes de stockage dans la ferme : le ballon-tampon de 800L, une masse thermique déjà conséquente, et le système de tempérage installé par nous-mêmes. Le tempérage c’est ce système à double fonctions où l’on met des tuyaux en cuivre sur la surface intérieure des murs de l’habitation. Ces tuyaux de cuivres sont gainés afin d’être protégés de la corrosion possible en cas de condensation, et recouverts par une épaisseur maximale de 2 cm d’enduit de chaux aérienne. Le tempérage empêche les remontées capillaires le long des murs et chauffe par rayonnement les pièces. Il permet dans ce cas un chauffage de base : on ne chauffe pas toute la maison, mais dès que le ballon-tampon est chaud, la pompe associée se met en route et fait circuler l’eau chaude dans le système de tempérage. On a déjà trois ou quatre degrés de plus dans la maison qu’à l’extérieur. Le ballon-tampon est également associé par le biais d’un échangeur thermique à l’ECS. L’eau du ballon-tampon fonctionne en circuit clos dans le système de tempérage. Si les gens arrivent, ils chauffent la maison par un poêle à bois qui chauffe un bouilleur également relié au réservoir-tampon de 800L par un échangeur de calories. Il y a deux sources de chaleur : les panneaux solaires thermiques et le poêle à bois. Puis on a plusieurs systèmes de répartition de la chaleur : l’échangeur qui fait chauffer l’eau du système de tempérage et l’échangeur qui chauffe l’ECS. Le client peut choisir de faire fonctionner dans le même temps ou pas ces deux systèmes.
En Allemagne, on isole à tout va, et surtout avec du polystyrène, par l’extérieur, sans même considérer l’épaisseur des murs, ni en quoi ils sont faits. Un mur de 60 cm + 20 cm de polystyrène : épaisseur énorme ! Pour être conformes aux règlementations thermiques dans l’existant : il faut baisser fortement la consommation énergétique, d’où des calculs réalisés en amont. Ce qui motive cette surenchère c’est tout simplement la possibilité de bénéficier d’aides de l’Etat. On ne regarde même pas le bilan carbone de l’opération, du fait de la pression des lobbies des fabricants allemands d’isolants à base de polystyrène. Un autre travers allemand : améliorer l’étanchéité à l’air, et sans s’intéresser de très près à la qualité de l’air intérieur, moins qu’en France. Là, pour le coup, c’est l’aération naturelle (ouverture des fenêtres trois fois par jour) que préconisent beaucoup d’architectes !
En France on est obligé de mettre en place dans les immeubles des ventilations mécaniques parce qu’historiquement, depuis les années 60, on a construit de grands bâtiments d’habitation, avec une fabrication à échelle industrielle, en béton, sans presqu’aucune isolation. Ce sont les problèmes de condensation sur les murs qui ont entraîné l’amélioration de la ventilation, tout en restant dans le cadre d’une ventilation simple flux : on évacuait l’air vicié, chaud, sans d’une part tirer aucun profit des calories qu’il contenait, et sans d’autre part se préoccuper d’amener mécaniquement un air sain ; pour ce deuxième point on se contentait de la ventilation naturelle (petites ouvertures sur l’extérieur pratiquées en général sous ou au-dessus des fenêtres).
L’Allemagne et la France ont deux approches différentes, qui tireraient chacune un bénéfice à s’inspirer de l’autre. Selon la rénovation et la performance énergétique de bâtiment qu’on souhaite avoir, et le bâtiment considéré, on peut envisager une simple flux hygro ou aller vers une ventilation double flux. Deux exemples : le premier, une rénovation partielle, l’extension d’une maison, j’ai veillé à une bonne performance thermique de l’extension mais je ne me suis pas préoccupé d’installer une ventilation particulière parce que ce n’était pas pertinent, le vieux bâtiment attenant et avec lequel l’extension communiquait par deux portes différentes entrainant des fuites d’air naturelles. Et ouvrir les portes de communication avec l’ancien bâtiment permet de réchauffer ce dernier. Deuxième exemple : une construction en briques alvéolées, épaisseur 25-30 cm, pas très performant pour l’isolation mais mieux que les parpaings : pas de travail important sur l’enveloppe mais isolation par un enduit chaux-chanvre sur un seul mur orienté nord, et un travail sur l’aération car de nombreuses traces d’humidité : choix d’une aération simple flux hygro avec des bouches d’aération présentes dans les différentes pièces d’où une régulation fine en fonction de l’occupation des pièces. Dans les deux cas je me suis adapté à une situation.
Plus grande fierté professionnelle
Ma plus grande réussite professionnelle : la satisfaction de mes clients, qui du coup me recommanderont ! Et prendre le risque de mettre en place des choses innovantes et ne pas se laisser freiner par des règlementations parfois absurdes. Le système de tempérage ne répond par exemple à aucune règlementation en place, malgré trente ans d’expérience dans ce domaine. Il n’y a rien de prévu si quelqu’un porte plainte contre moi ; un tel projet ne peut se réaliser que dans la confiance avec son client. Il faut sensibiliser le client : on fait le projet ensemble. On a trente ans d’expérience, mais on ne peut toujours pas formaliser de combien on baisse la consommation d’un client puisque ça dépend des habitudes du client en matière de chauffage. Et ce système n’est pas un simple système de chauffage, il sèche les murs ; en cela, et aussi parce qu’il s’agit de chauffage par rayonnement, il baisse la consommation d’énergie de l’habitation. Le chauffage par rayonnement apporte du confort car il supprime les parois froides dans la maison. L’initiative de la version moderne du tempérage revient à Henning Grosseschmidt, responsable des musées de Bavière n’appartenant pas à l’Etat : il a repris et améliorer une idée des Romains, avec l’aide de Harald Weissmann, thermicien à Munich, fondateur et dirigeant de l’entreprise Eura-Ingenieure. M.Grosseschmidt avait été sensibilisé à cette question de l’hygrométrie et du chauffage de part son activité : les œuvres conservées dans les musées sont souvent très sensibles à ces paramètres ; il lui est apparu naturel de travailler avec la masse thermique du bâtiment.
Difficultés rencontrées
Les difficultés rencontrées font parties du quotidien : trouver des artisans dans la même réflexion de la construction écologique ; gérer le chantier ou comment réagir aux surprises très courantes dans la rénovation. Il est souvent difficile de tenir les délais (un chantier évalué au départ à quatre mois s’étend fréquemment sur 6 à 7 mois). Il est essentiel d’avoir un bon contact avec le client, d’expliquer sa démarche, les résultats obtenus. Et puis j’agis de manière logique : si des travaux sont à réaliser à l’intérieur d’un bâtiment existant, et à l’extérieur, je fais en sorte d’achever au plus tôt les travaux intérieurs. Le plus important est le respect du budget, et que le résultat soit de bonne qualité. Un chantier pour un client est souvent difficile : il se trouve toujours confronté à une complexité qu’il n’avait pas forcement imaginé. L’architecte doit donc aussi faire preuve de pédagogie … L’écoconstruction demande un peu plus de précision, un peu plus de réflexion, que la construction ordinaire, aussi, le minimum, si le client a conscience de cela, est de lui offrir le résultat, en terme de qualité espérée. Un bon exemple est celui de faire ou non le choix d’un complément d’isolation sur un mur : si cette isolation, trop rapidement décidée, peut s’avérer intéressante en hiver, elle ne l’est plus en été où il fait alors trop rapidement chaud à l’intérieur, alors qu’une autre solution aurait permis de continuer de profiter été comme hiver de la capacité d’inertie de ce mur. Et aussi, mal isoler signifie traîner des problèmes d’hygrométrie (de l’air intérieur, de condensation dans les murs …) Il faut réussir à convaincre, il faut amener le client à réfléchir, à situer les avantages de l’écoconstruction en terme de qualité de vie. Tout est important pour un client, il ne faut jamais négliger ses remarques et savoir y répondre. Parce qu’on ne peut pas toujours tout faire lors d’un seul et même chantier, pour des raisons de coût, de temps, il faut savoir ordonner les travaux par ordre de priorité et exposer ses choix au client en vue d’obtenir son adhésion ; ne pas perdre de vue que le coût de l’énergie ou la qualité, la performance des matériaux sont également des éléments qui évoluent, cela participe à la hiérarchisation des choix dans le temps. Je pense que rénover consiste à améliorer les qualités intrinsèques de l’existant et à se laisser les marges pour son évolution. Mes projets se situent toujours dans la perspective du long terme, donc du développement durable.
Implication dans la vie associative
Le travail que j’ai fait pour Bâtir Sain, en parallèle de mon développement en France, est également une grande fierté. Quand j’ai adhéré à Bâtir Sain il y a quatre ans je me suis dit que c’était quelque chose de bien que cette association existe depuis aussi longtemps (bientôt trente ans !). Sont-ils assez visibles ? Pour quelles raisons contacte-t-on cette association ? Qui sont les interlocuteurs du public ? J’ai voulu pour répondre à ces interrogations réunir les adhérents et les sympathisants de Bâtir Sain dans un cadre convivial (un bar, un café). J’ai donc lancé le Café BioConstruction qui a lieu tous les derniers mardi du mois au Café les 3 arts à Paris 20ème. On y donne des informations et on échange de manière vivante !
L’idée de départ de l’association, promouvoir l’écoconstruction, les matériaux écologiques : super. Après je m’interroge sur la vie de l’association, du réseau : nous faisons parti de Ecobâtir et du réseau national de l’écoconstruction, c’est bien. Mais que va devenir le salon Bâtir Ecologique ? Dans quoi va-t-on s’investir ? Comment diffuse-t-on l’information ? Comment échange-t-on avec les autres acteurs de l’écoconstruction ? Comment arriver à faire adhérer à nos idées, et, mieux, à notre démarche ? L’écocentre d’Ecouen me semble une excellente idée, vraiment, une plateforme qui permette à la fois de développer une démarche pédagogique et aussi à tous les acteurs de Bâtir Sain de s’investir. C’est aussi un projet qui peut fédérer encore plus d’acteurs de l’écologie, de l’écoconstruction, du bâtiment sain et du développement durable ! La perspective d’une compensation financière pour les possibles prestations de Bâtir Sain peut aider à la mobilisation : nos investissements personnels seraient reconnus comme un véritable travail. J’espère que les interviews, les newsletters, aideront à notre visibilité.
Bérengère, le 18 février 2013
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