Je transcris ici un article paru dans la version papier du Monde du 21 janvier 2015 :
« Défilons aussi à Yaoundé et Abuja
par Marafa Hamidou Yaya, ministre de l’intérieur du Cameroun de 2002 à 2011. Condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption, il est reconnu comme prisonnier politique par la Communauté internationale.
Contre Boko Haram, le Nigéria et le Cameroun doivent aussi marcher pour démontrer leur unité.
Les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ont plongé la France dans le quotidien du Nigéria et du Cameroun. Mais le terrorisme islamiste ne mettra pas la France à genoux. Car elle a les moyens de déjouer la plupart des projets d’attentat, et ses institutions, son économie, son unité sont par ailleurs bien trop solides pour être perturbées durablement.
Le Nigéria et le Cameroun sont dans une situation autrement plus critique. Le tribut en vies civiles et militaires, car nos soldats se battent avec héroïsme, est inouï.Début janvier, Boko Haram a massacré des milliers de civils à Baga, des dizaines à Waga et à Mozogo. Le 8 janvier, une fillette a été utilisée comme bombe humaine dans le marché de Maiduguri.
Puis, parce que l’Etat n’exerce plus qu’un contrôle incertain sur les territoires où agissent les terroristes. Ceux-ci franchissent librement la frontière entre les deux pays pour échapper aux armées nationales. A cela, il faut ajouter la destruction du tissu économique et social. Au Nigéria, à Baga, Boko Haram a détruit plus de 600 bâtiments, dont des cliniques, des écoles, et des commerces. Au Cameroun, le nord souffrait déjà depuis trente ans d’un sous-investissement chronique. Désormais, le chaos décourage les investisseurs, et la lutte contre le terrorisme est financée avec des crédits destinés à des projets d’infrastructures. Sodecoton, le principal employeur de la région, est au bord de la faillite. Or, il fait vivre près de 2 millions de personnes.
« Je suis Baga »
Avec l’afflux de réfugiés, l’ONU parle de crise humanitaire majeure, qui va s’aggraver dès le mois de mars avec l’arrivée de la saison sèche et des épidémies. Le reste du pays regarde avec méfiance ces provinces, de l’extrême nord à l’Adamaoua, où, sans perspectives, des jeunes se laissent happer par l’extrémisme. L’isolement de ces populations, s’il n’est pas inversé, met en péril l’unité nationale. Sans doute moins au Nigéria. Dans une certaine mesure, Boko Haram y est un nouvel avatar du sécessionnisme, le pays a donc acquis une longue expérience de la gestion des poussées sécessionnistes. Il a su surmonter sans éclatement les plus graves d’entre elles, comme la guerre du Biafra.
Mais, si son degré de magnitude n’est pas le même que la France, au Nigéria et au Cameroun, c’est bien d’une menace commune qu’il s’agit. Pleurons ensemble nos morts et combattons ensemble nos ennemis.
Renforçons dès aujourd’hui la coopération internationale contre l’extrémisme islamiste, quel que soit le nom qu’il se donne, Al-Quaida, Etat islamique, Boko Haram. Le dimanche 11 janvier, les 4 millions de Français qui ont défilé ont été rejoints par des amis venus du monde entier, dont plus de 50 dirigeants internationaux. Cette unanimité est le meilleur rempart contre le terrorisme.
Les populations du nord-est du Nigéria et du nord du Cameroun vivent comme livrées à elles-mêmes. Un jour sous le feu des terroristes, le lendemain sous celui de la riposte des armées nationales. Le reste du pays ne descend pas dans les rues pour dire son soutien. Aucun chef d’Etat étranger ne défile pour elles à Abuja ou à Yaoundé.
Il faut que, dans les mois qui viennent, des marches soient organisées sur les lieux de massacre de Boko Haram. Que Nigérians, Camerounais et les représentants de leurs amis en Europre, en Afrique et ailleurs montrent un front uni. Qu’ils disent : « Je suis Baga », « Je suis Maiduguri », « Je suis Waza ». »
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