Interview de Martin Vert, technicien de maintenance

Photo de Martin Vert, technicien de maintenance, dans son atelier de la Petite Rockette, avec sa première imprimante 3D, crédit photo B.Brochenin

Martin Vert, technicien de maintenance, dans son atelier de la Petite Rockette, avec sa première imprimante 3D. Crédit photo B.Brochenin


Je m’appelle Martin Vert, j’ai vingt-sept ans. C’est chez mes parents qu’est née ma passion pour la technique  : on a toujours eu un garage de motos et de voitures, à la maison, et un atelier. Je travaille à la Petite Rockette depuis quelques années où je m’occupe de la partie régie technique : organisation, résolution de l’ensemble des problèmes techniques !

Parcours professionnel jusqu’à la Petite Rockette

J’ai passé un BEP MSMA, ou Maintenance des Systèmes Mécaniques Automatisés, à l’âge de seize ans ou dix-sept ans alors que je travaillais chez Freyssinet, une entreprise de travaux publics appartenant au Groupe Vinci, dans un atelier de remise à neuf du matériel de travaux publics à destination de l’export ; j’y suis resté un peu plus de dix-huit mois. Le travail, sur de grosses machines, était très intéressant. Toutes les compétences techniques étaient à l’œuvre, depuis l’hydraulique, en passant par l’électricité, la soudure : l’ensemble des corps de métiers pour la maintenance des systèmes mécaniques automatisés. Freyssinet est spécialisé dans les systèmes de précontrainte et de levage : il s’agit de manipuler des structures en béton, des ponts. On fabriquait également des pièces pour réparer certaines machines, comme celles pour fabriquer des haubans de pont.

Si je ne suis pas resté dans cette entreprise, c’est précisément parce que c’était un grand groupe, avec une forte pression hiérarchique. J’avais envie de voir autre chose, je ne me rendais pas forcément compte de ce que je perdais à l’époque. Chacun était rangé dans une case, comme un électron dans un ordinateur, littéralement ! A côté de cela, ç’a été l’atelier le plus modèle que j’ai jamais vu : performant, optimisé, sécurisé. C’était magnifique ! Et on faisait de tout, de la peinture en passant par l’électronique, une expérience très formatrice. Je suis parti facilement car j’étais en intérim. L’intérim est sur-utilisé dans l’industrie : en espaçant régulièrement les périodes d’activité par une quinzaine de jours de repos, on peut conserver le statut d’intérimaire sa vie durant.

Quelques mois après, en 2007, j’ai décidé de travailler avec un ami comme vendeur-comptoir-magasinier au Comptoir Electrique Français. J’ai été recruté en CDI dans ce groupe. C’était un poste de commercial, sédentaire : je gérais le stock, j’appelais les fournisseurs, passais des commandes ; il y avait des procédures de commande inter-agences. Comme dans le cas de l’entreprise précédente, je suis resté un peu moins de deux ans ; j’en ai profité pour passer, en candidat libre, le BEP Électrotechnique. Dans les faits, j’ai passé les deux BEP en candidat libre, ce qui implique qu’à chaque fois j’avais trouvé le travail correspondant en amont. Le BEP électrotechnique touchait vraiment à ce que je faisais : je vendais tous les jours du matériel électrique du bâtiment, des prises, des disjoncteurs, des tableaux électriques, des installations. De plus, j’ai toujours aimé ce qui a trait à l’électronique et à la programmation ; pendant des années, j’ai pu profiter de l’atelier de mon père.

Au Comptoir Electrique Français, j’ai commencé à regretter l’atelier de Freyssinet. J’ai décidé de les quitter et de me mettre en quête d’une entreprise où je pourrais faire de la mécanique, de la réparation ; la part de technicité dans la vente de matériel électrique est limitée. Le CEF, ou Comptoir Electrique Français, c’est un peu le Mac’do de la domotique, des franchises, avec un manager, des vendeurs sédentaires, des vendeurs nomades, les acheteurs, et les magasiniers ; là où j’étais, l’équipe était restreinte, et le dialogue passait bien. J’avais plusieurs fois eu l’occasion d’aborder avec le manager la question de l’intérêt de mon travail, il savait que je préférais travailler dans la maintenance, où l’on peut aussi bien aborder la mécanique, que l’hydraulique, ou la soudure ; l’électricité n’est qu’une partie de la maintenance.

J’ai trouvé du travail à Epernon, dans l’imprimerie Tourneville-Securex, en tant que technicien de maintenance-régleur. Ce n’était pas une imprimerie très grande bien que disposant d’une presse Manroland cinq couleurs ; en aval, il y avait différentes machines servant à plier, à découper, à coller, à passer des fils, à faire des nœuds, sur les impressions issues de la Manroland. J’aurais dû y être heureux, il y avait beaucoup de travail pour moi !

Malheureusement, c’est là que je me suis rendu compte à quel point Freyssinet était un atelier modèle. Autrement dit, les normes de sécurité n’étaient pas respectées dans ma nouvelle entreprise, au point que j’en suis resté choqué. Tout le monde craignait de se prendre une décharge électrique en touchant aux machines. Je n’y ai pas fait long feu, à peine un an. Le côté agréable était que j’étais seul responsable de mon travail. J’avais la surface de l’usine en sous-sol pour moi seul pour faire la maintenance, le service maintenance étant délaissé par l’entreprise. Là, j’avais toutes sortes de machines à ma disposition : des tours, des fraiseuses, des rectifieuses… ! Techniquement, cela m’a permis d’apprendre énormément. En revanche, au-dessus, dans la zone de production, se trouvait du matériel datant des années 1940. On me demandait de travailler sur certaines machines à découper des bandes de papier, parce qu’il y avait eu des accidents dessus, avec la dite machine en marche.

Une imprimerie, c’est une usine de production : interrompre la production représente un coût, et c’est cette logique là qu’on me faisait valoir. Un jour, alors que pour des raisons évidentes de sécurité, j’avais malgré tout débranché une machine, le directeur s’est même cru permis de me dire, qu’en toute logique, je devrais être payé au pro rata du rendement des machines.

S’il valait mieux éviter de débrancher une machine en cours de réparation, investir dans du matériel de sécurité ne faisait pas non plus partie de la politique de l’entreprise. C’était d’autant plus malheureux pour leur image de marque qu’elle produisait encore quand j’y étais en 2009, les fameux Securex, des petits billets à demi-trou aux extrémités, que les cinéphiles affectionnent car ils les retrouvent dans les vieux cinémas, grâce à des machines dédiées fabriquées par Bobst, une entreprise suisse, dans les années 1940 ; un brevet avait été déposé sur ces tickets. Ces machines là avaient sûrement déjà voyagé : elles avaient fait des tickets de rationnement durant la dernière guerre mondiale ; de vrais monuments conçus pour durer jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas un hasard. Il est possible de les adapter aux normes actuelles, même si le coût de l’opération est élevé.

Il en découlait un certain monopole de production ; d’autres systèmes de production doivent exister, d’autant que de moins en moins de machines de type Securex sont en état de fonctionnement. On fournissait les administrations, des cinémas, des théâtres, qui, tous, avaient adopté le système Securex il y avait fort longtemps, ce qui limitait leur choix de fournisseurs. Tourneville-Securex ne pouvait en conséquence pas se séparer de ces machines, qui du reste peuvent très bien fonctionner à condition d’être mises aux normes.

Derrière la forme des tickets, il y a tout un procédé de production et de comptage des tickets avec un numéroteur. Les reproductions modernes que l’usine possédaient n’étaient pas aussi performantes que les machines des années 1950, donc non utilisées en production. L’usine possédait notamment une machine prototype récente qui ne marchait jamais, sauf très lentement, avec des problèmes de stabilité. Voilà pour la mission maintenance.

Côté réglage, différentes pièces devaient être produites : d’une certaine forme, d’une certaine couleur, emplacement des pliages, longueur des fils des boucles, des petits livrets, des étiquettes de bijouterie (très petites étiquettes blanches avec un fil rouge noué, c’est une machine qui fait ces nœuds). Je devais évaluer si le modèle fait main, pouvait être produit mécaniquement, auquel cas il fallait faire l’adaptation, les réglages de la machine.

La stratégie en vigueur privilégiait le modèle réparation-panne à la maintenance préventive. Les machines étaient amorties en deux ans, sans jamais avoir vu une goutte de graisse, à l’opposé des recommandations du constructeur, qui spécifient au bout de combien de temps un entretien de contrôle est nécessaire. Cela faisait bien longtemps que l’imprimerie n’investissait plus dans des machines de haute qualité, telles les Bobst. Grâce à cette entreprise, j’ai bien compris que les normes n’étaient pas la loi, et que les managers connaissent bien la loi.

Et je ne parle pas de l’encre et du papier répandus dans la nature alentour ! Le côté positif, c’est qu’ils m’ont incité à porter plus d’attention aux questions environnementales, à la responsabilité de chacun à cet égard : plusieurs fois, d’astreinte mais sans machine à entretenir, il m’est arrivé de passer la journée à ramasser des papiers autour de l’usine, alors que ce n’était pas mon travail. En ce qui concerne l’encre, il ne s’agissait tout de même pas de la répandre à l’extérieur à même le sol, mais il ne faut pas négliger que l’encre renversée régulièrement sur la dalle en béton de l’usine traverse la dalle et contamine le sol.

Je suis parti fin 2009 suite à des remontrances du directeur qui me promettait de me mener la vie dure si je continuais à évoquer les problèmes de sécurité au sein de l’imprimerie.

J’ai rapidement retrouvé du travail, chez Hydraulev, à Maurepas, un appareilleur d’équipements hydrauliques sur véhicules : grue, hayon, benne. C’est-à-dire qu’aucun camion de constructeurs, que ce soit Renault, Volvo, Mann, n’est vendu équipé aux entreprises de bâtiments et travaux publics : il n’y a que la cabine et le châssis. C’est pourquoi plusieurs marques figurent sur ce genre de véhicule, au moins trois : l’équipementier achète les véhicules au constructeur afin de l’adapter à la demande d’un client final. Hydraulev ne fait pas de plateaux inertes, que de l’hydraulique, donc avec des systèmes de vérins ; ça peut-être des camions chasse-neige, des camions de transport de bouteilles de gaz, c’est assez varié.

L’équipement hydraulique utilise non pas de l’eau, mais de l’huile hydraulique, ainsi appelée à cause de sa haute fluidité, un produit issu de la pétrochimie. L’eau fut certes historiquement utilisée, mais a été abandonnée au profit de l’huile, qui n’endommage pas les métaux ; de plus, le degré de fluidité de l’huile est contrôlable, autant d’avantages d’un point de vue mécanique. Quoi qu’il en soit l’huile hydraulique est un produit polluant : les huiles usagées ne sont pas traitables facilement, si on n’y prend pas garde, elles se répandent insidieusement dans l’environnement, ce qui est extrêmement préjudiciable pour les organismes vivants1.

C’est au sein de leur service après-vente, dans l’atelier de maintenance, que j’ai été embauché. Dans ce genre d’atelier on utilise des machines imposantes, on change de lourds vérins, on soulève des camions ; pour déplacer tout cela au travers de l’atelier-hangar, on utilise des ponts roulants : des rails au plafond avec une poutre coulissante à laquelle un chariot intégrant un dispositif de levage est fixé, le tout est télécommandé. Cela équivaut à une grue, mais d’atelier. Ce pont roulant datait, mais le problème n’était pas tant lié à l’ancienneté qu’à l’absence d’entretien, de travaux de maintenance, comme dans le cas de ma précédente expérience professionnelle. J’étais, certes, chargé de la maintenance, mais de celle des camions ramenés par nos clients, pas de notre outillage.

Un jour le directeur d’Hydraulev, qu’on voyait rarement, passe, avec des commerciaux. Je me suis dit : « enfin, c’est le progrès, ils vont changer les ponts roulants ! » ; ou s’en occuper. Que nenni : le chef d’atelier m’explique qu’ils étaient en train d’envisager l’installation de caméras de surveillance dans l’atelier de SAV. Or, tous autant techniciens de maintenance que nous étions, nous savions que si problèmes il y avait, c’était, depuis des mois, avec les ponts roulants, qui manifestait des dysfonctionnements aussi divers que variés ! Le système de freinage, entre autre, était défectueux : une charge d’une tonne suspendue pouvait d’un moment à l’autre choir sans frein.

C’était le droit de la direction d’estimer que ces caméras, en plus de l’assurance qu’elle payait, allait contribuer à limiter l’impact des vols sur son chiffre d’affaire. Mais j’ai trouvé qu’il s’agissait d’un défaut flagrant de responsabilité de leur part : leurs machines leur importaient plus que leur personnel.

Quinze jours après ce passage, l’un des plus anciens employés de l’atelier a eu un accident très grave à cause du pont roulant : il a fallu l’amputer du bras gauche. De mon côté, fort de mon expérience, j’avais fait le choix d’abandonner l’entreprise le jour même de cette visite du directeur, et d’aller travailler au camping de Rambouillet, où j’entretenais la piscine végétale : je faisais des tests de contrôle de salubrité tous les jours. Ça fonctionne bien, mais demande un entretien quotidien afin de lui conserver un bon aspect, en enlevant les algues. Puis j’ai rencontré la Petite Rockette, par un ami, qui lui-même l’avait connue dans le cadre d’un mémoire qu’il faisait pour ses études.

Ce devait être en 2010 : j’ai débuté au 6, Rue Saint-Maur, lieu pour lequel l’association la Petite Rockette avait déjà négocié une Convention d’Occupation avec la Ville de Paris. Aussi y avait-il déjà deux salariés2 : à eux deux, ils géraient toute l’activité associative de la Petite Rockette, questions techniques comprises. Cette dernière partie étant lourde, ils avaient déjà recherché et embauché deux techniciens de maintenance successivement pour la maintenance du bâtiment, les réparations, et la préparation des événementiels, mais qui n’étaient pas restés.

La Petite Rockette

J’ai relevé la succession, dans ce lieu que je connaissais pour ses événements festifs. C’était génial, un grand espace : un quart à un tiers du lieu était réservé aux habitations ; il y avait trois grandes salles polyvalentes mises à disposition ; un studio de répétition musicale au sous-sol ; des ateliers d’artistes; une galerie d’exposition ; deux petites cours intérieures. Je m’assurais du bon fonctionnement matériel des différents lieux de vie, et de la capacité des salles polyvalentes à accueillir différents événements et troupes de spectacles. Je veillais à la sécurité des utilisateurs, aux bon fonctionnement des disjoncteurs, à la disponibilité en prises de courant ; je surveillais la qualité du matériel, de la peinture. En ce qui concerne la régie technique, je mettais les estrades à disposition, la lumière, les consoles d’éclairage ; s’il manquait du matériel de son, j’allais le chercher à l’agence de location.

Les propriétaires connaissent bien la loi : les occupants d’un squat sont sans droits ni titres, donc les normes de sécurité ne sont pas une préoccupation prioritaire du propriétaire. En revanche si suite à un dispositif électrique défectueux il y a un préjudice, alors il y aura une enquête de faite : là est le risque de ne pas respecter des normes de sécurité. Mais ce n’est pas la loi qui astreint. Je m’astreignais à mettre aux normes le bâtiment, à ce que les disjoncteurs posés soient de qualité, à ce que les personnes présentes dans les lieux s’y trouvent en sécurité, ce qui passait par la mise en évidence des évacuations de secours dans les zones d’accueil du public. Ça s’est fait progressivement.

Initialement, j’ai été formé sur les questions d’électrotechniques. En tant que professionnel je me tiens à jour : je suis à même de déterminer ce qui est aux normes et ce qui ne l’est pas, je travaille en conséquence.

Ce qui m’a motivé pour travailler à la Petite Rockette, c’est la grande liberté laissée à chacun dans la gestion de son travail, dans la mesure du réalisme : il faut tout de même y faire ce qu’on a à faire. Et surtout nous sommes libres de toute initiative ! Le jour où j’ai souligné, devant une assemblée : «  là on a un problème de sécurité, il faut déterminer une sortie de secours et mettre des extincteurs », la requête a été entendue et traitée de façon intelligente.

Il y a vraiment une écoute de chaque personne, en assemblée. Chacun ici, est un porteur de projets, selon ses compétences. Les choses ne se passent pas de manière masquée ni opaque. Tous les problèmes soulevés le sont ensemble, au sein de l’assemblée des salariés, qu’il s’agisse d’une question financière, d’une question de sécurité, autre … C’est très différent de ce que j’ai connu en entreprise, ou d’un côté il y avait la direction qui dirigeait, et de l’autre des employés qui se devaient d’obéir. Ça fait quatre ans que je suis à la Petite Rockette : jamais je ne suis resté aussi longtemps en place dans la même structure! On organise notre travail de la manière qui nous semble le plus approprié. On n’est pas arrêté par la volonté d’un supérieur hiérarchique.

Notions de matériau écologique, de produit écologique, de matériau sain, de produit sain

Un matériau écologique est un matériau dont l’impact sur la nature est minimum, depuis sa fabrication, jusqu’à sa mise au rebut, pour une raison ou pour une autre.

Un produit écologique, à la différence d’un matériau, c’est quelque chose qu’on va garder moins longtemps dans nos vies, en général. Typiquement, une perceuse, un beau jour, on n’en a plus besoin, on va chercher à s’en débarrasser. Il ne faut pas non plus qu’il ait d’influence négative sur la nature, sur ce qui nous entoure. L’idéal est que les matériaux qui le composent puisse être réutilisés à 100 % sans polluer, sans consommer d’énergie. Ou que cet objet puisse servir à d’autres, qu’il puisse être prêté.

Idéalement, dans les deux cas, matériau ou produit, il ne faudrait pas qu’il y ait d’impact, même positif, sur l’environnement.

Le matériau comme le produit sains ne nuisent pas à la santé des humains.

Mes réalisations professionnelles et personnelles

Dans le cadre de mon activité professionnelle, aujourd’hui, à la Petite Rockette, je suis particulièrement heureux d’arriver, tous les jours, à venir en aide à des gens, je rends des services, je donne des objets. Je rends beaucoup de services, ça me fait très plaisir, d’aider les gens à réparer les choses, à trouver des solutions à des problèmes.

J’éprouvais un certain orgueil à travailler pour le Groupe Vinci, lorsque j’étais chez Freyssinet, parce que cet aspect est cultivé dans les grands groupes : des magazines internes vantent nos réalisations, on croise des personnes qui viennent de grands chantiers à l’international, on parle des grands travaux qui on pu être faits, des monuments gigantesques qui ont pu être réalisés en quelques heures.

Autrement, je n’ai jamais eu de grande fierté à dégager de mon travail, dans la réparation de matériel de chantier, dans l’imprimerie, comparé aux autres problèmes liés à l’activité, il n’y avait vraiment pas de quoi. Pour en revenir à Vinci, des milliers de tonnes de béton sont mises à la poubelle jour après jour. A l’imprimerie, ou chez Hydraulev, il y avait, outre les problèmes de sécurité, ceux de pollution : à souligner que le bac dégraisseur est à l’heure actuelle la seule disposition légale s’imposant aux entreprises comme Hydraulev afin de traiter l’huile usagée3. Avant la Petite Rockette, je n’ai jamais trouvé un travail qui correspondait à ce qui semblait être une éthique saine.

Rien n’est parfait, mais, au moins, à la Petite Rockette, un certain nombre de choses que je fais quand je rends service me satisfait pleinement. On permet à tous d’avoir accès à la culture, et pas juste d’aller voir des tableaux ou des films. On sauve la vie d’objets en tous genres, dans certains cas ils sont redistribués gratuitement. Là, oui, j’en suis vraiment fier.

Le mur végétal ou l’imprimante 3D sont des cabrioles techniques en comparaison de choses que j’ai faites, avec ou grâce à la Rockette, d’aide vraiment sociale : je suis allé mettre de l’électricité dans des squats, ou encore des douches, chez des gens qui n’en avaient pas depuis cinq ans. Une imprimante 3D, même si j’arrive à faire du recyclage avec, j’en retire un accomplissement moindre. Certains pourraient même aller jusqu’à dire que c’est un amusement de petit bourgeois, je le sais. Je me fais plaisir ; c’est du plaisir. Construire une imprimante 3D est lié à ma formation : je suis content d’ y arriver, mais pas fier, bien qu’il faille reconnaître que je ne vais pas m’arrêter à une seule machine. En effet, derrière cette imprimante, il y a un projet de recyclage du plastique, réalisable dans le cadre de la Petite Rockette.

Photo du Mur végétal alimenté par la matière organique provenant de l’aquarium, réalisé par Martin Vert pour la Petite Rockette. Crédit photo B.Brochenin

Mur végétal alimenté par la matière organique provenant de l’aquarium, réalisé par Martin Vert pour la Petite Rockette. Crédit photo B.Brochenin

J’ai suivi le protocole d’assemblage afin de réaliser l’imprimante 3D pour La Petite Rockette, avec uniquement des matériaux de récupération, bien sûr, hormis tel ou tel composant spécifique. L’idée est d’en faire plusieurs dans le but de rendre la Petite Rockette à même de recycler le plastique que d’habitude les gens jettent à la poubelle.

Autre application possible : différents plastiques rentrent dans la composition d’un objet, d’une machine ; le type de plastique de tous les composants d’un objet est normalement référencé depuis un certain nombre d’années : ABS, polypropylène, etc. Considérons le cas de vieilles imprimantes à jet d’encre, qu’on n’a pas les moyens de réparer à la ressourcerie : l’alternative est actuellement de les donner à une entreprise de recyclage qui va les transporter, qui va en traiter les composants afin d’en extraire les composés, en vue de réintégrer ces derniers dans une filière de production. Mais nous à la ressourcerie on peut récupérer des matériaux sur ces objets, pour les recycler directement avec cette « recycleuse » qu’est l’imprimante 3D.

Implication dans différents réseaux écologiques, culturels, de l’économie sociale et solidaire, autres

Je suis membre d’un collectif, la Blackboxe, qui se réunit actuellement dans un squat, à Saint Denis. Il faut aller visiter le site internet blackboxe.org : c’est de l’échange de savoir, on est des geeks !

J’ai connu les squats d’abord pour des événements festifs ; puis pour rendre des services. Il y en a quelques uns dans lesquels je suis retourné. En particulier, dans le 18ème il y un réseau de lieux très sympas : jardins partagés, ateliers d’artistes, le Théâtre de Verre ; les lieux dans le 18ème sont en majorité conventionnés. Ils font bien parti du réseau squat, ils ont été réquisitionnés au départ, avant d’obtenir une convention d’occupation. Ce sont des personnes que j’apprécie beaucoup. Tout est une question d’affinité : je ne suis pas trop teuf-techno ; il y a de tout dans les lieux occupés. L’association la Petite Rockette est issue du squat avec la volonté d’aller vers une reconnaissance sociale ; je pense que le pari a été relevé, et avec brio : nous sommes douze salariés sur l’activité de ressourcerie, nous ne sommes même plus sous convention d’occupation comme c’était encore le cas rue Oberkampf, puisque nous payons un loyer, normal, pour un lieu qui nous est dédié.

J’ai essayé d’ouvrir des lieux, sans succès. Je me suis fait expulsé, j’ai même subi une expulsion illégale de la part de personnes bien vues auprès des autorités. Je vous passe les détails…

Avant de pouvoir me payer un logement sur Paris, j’ai logé dans un squat ; c’était une solution de dépannage, et un choix : mes parents étaient prêts à m’aider à me loger. Tout le monde ne peut pas vivre dans un squat : il faut connaître, il y a des implications juridiques et il faut supporter la vie en collectivité. Tout le monde n’y est pas pour la même raison. Certains suivent leur chéri(e), d’autres n’ont jamais connu que ce mode de vie : ils y sont nés. Il y a les lieux artistiques. Il y a des délinquants. Il y a de tout. Certains essaient de s’en sortir. D’autres en profitent. C’est varié. Il y a une logique par lieu. Il y a cet aspect de liberté professionnelle, assez propre à la Petite Rockette, qui me fait l’aimer.

Aujourd’hui, avec une situation professionnelle stabilisée, je mets une partie de mon salaire dans mon logement, mais je ne m’en porte pas plus mal. Au début, la Petite Rockette ne pouvait m’embaucher qu’en temps partiel. J’ai fais ce choix en connaissance de cause. De par mon expérience professionnelle, des collectifs que j’ai rencontrés, des ouvertures que j’ai faites, d’un point de vue insertion, ça peut-être dangereux. Vous n’êtes pas livré à vous même, mais ça peut être pire quand vous êtes dans un environnement qui peut vous faire décrocher, il y a forcément des gens qui ne travaillent pas le lendemain et font la fête. C’est forcément un endroit où on s’amuse ; si vous voulez vous reprendre en main, cela demande un réel effort. Ça donne un toit, pas le sommeil.

Je suis allé apporter des meuble et des objet de première nécessité dans des squats, parce qu’ils n’en avaient pas. Ça touche à la ressourcerie, mais c’est en parallèle, la Petite Rockette le faisait avant. Pour ma part, maintenant que je suis piqué, avec ou sans la Petite Rockette, je continuerai de le faire. J’y trouve la liberté, la non-hiérarchie, le partage, la vie artistique, et d’autres choses encore, que je trouve belles.

Bérengère, le 17 janvier 2014

Notes:
1. « 1 litre d’huile usagée peut couvrir 1 000 m2 d’eau et empêcher l’oxygénation de la flore et de la faune pendant des années. », source : document de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie ou ADEME traitant de l’importance du recyclage des huiles de vidange : http://www.ademe.fr/htdocs/actualite/operation_vidange_propre/pdf/ademe-plaquette_information.pdf
2. Pour l’histoire de la Petite Rockette, voir l’interview de Delphine Terlizzi
3. Hydraulev, quand j’y étais, respectait cette obligation concernant le traitement de l’huile usagée

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